Skip to main content

Paula Dumont : Une autrice engagée au service de la visibilité lesbienne

(Temps de lecture: 6 - 12 minutes)

Paula Dumont : Une autrice engagée au service de la visibilité lesbienne

Paula Dumont, aussi connue sous le pseudonyme de Pascale Desalins, est une autrice française qui s'est engagée toute sa vie pour la reconnaissance et l'émancipation des femmes et des lesbiennes. Son parcours littéraire, marqué par des thèmes tels que l'homosexualité féminine, le féminisme et l'autobiographie, reflète sa passion pour l'écriture et son combat pour l'égalité des droits. À travers ses ouvrages, elle offre une voix aux femmes lesbiennes et met en lumière leurs expériences souvent invisibilisées.

Dans cette interview exclusive, Paula Dumont revient sur les motivations qui l'ont poussée à écrire sa première nouvelle. Elle évoque l'influence de sa carrière dans l'éducation en tant que professeure, son parcours littéraire et ses convictions personnelles. Elle nous parle de son engagement au sein du Collectif contre l'homophobie et de l'association féministe Psyc et Genre, et de la manière dont cela a enrichi sa réflexion et son écriture. L'autrice partage également ses réflexions sur l'évolution de la représentation des femmes et des lesbiennes dans la littérature française depuis ses débuts en tant qu'écrivaine. Elle souligne les avancées significatives réalisées, mais souligne également les nombreuses années de silence et d'invisibilité des œuvres lesbiennes. Malgré les défis rencontrés en abordant des sujets aussi personnels et sensibles, Paula Dumont a écrit avec authenticité, contribuant ainsi à la compréhension des liens étroits entre le sexisme, l'homophobie et la lesbophobie. Enfin, l'autrice nous offre un aperçu de son processus d'écriture, de ses projets futurs en littérature et d'engagement social. Cette interview nous plonge dans l'univers engagé et profondément personnel de Paula Dumont, une autrice qui défend avec passion la diversité et la visibilité des femmes lesbiennes à travers ses écrits.

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire votre première nouvelle, "Le Refuge", et comment avez-vous choisi votre nom de plume, Pascale Desalins ?

Arcadie, qui était en 1976 la seule association d’homosexuels à avoir des antennes en région, a organisé un concours de nouvelles. Comme je rêvais depuis toujours d’être écrivaine, j’ai rédigé « Le Refuge » ce qui m’a valu le troisième prix de la nouvelle homophile et d’être publiée dans la revue. Ce succès m’a encouragée à écrire un roman, « Les premiers pas », roman que j’ai envoyé à plusieurs maisons d’édition, mais celles-ci l’ont refusé. J’ai choisi un pseudonyme parce que j’étais professeure de français à l’Ecole normale du Jura et qu’il était beaucoup trop risqué en 1976 de faire un coming out. J’avais tout juste trente ans et je n’avais qu'une source de revenu, mon traitement d’enseignante. Pourquoi ce pseudonyme ? Pour garder mes initiales et parce que j’ai passé mes premières années à Salins dans le Jura.

En quoi votre carrière dans l'éducation, notamment en tant que professeure à l'IUFM de Montpellier, a-t-elle influencé votre parcours littéraire et vos convictions personnelles ?

Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours aimé les contes, les romans, les histoires bien ficelées, bref les livres, si bien que tout naturellement, après le baccalauréat, j’ai fait des études de lettres. Mais il me fallait gagner ma vie. J’ai donc passé le CAPES, j’ai été nommée en Ecole normale (à la formation des maîtres du primaire). Or comme vous le savez, l’Education nationale est le dernier des placards. Certes j’ai continué à lire et à écrire, mais tout au long de ma carrière, je n’ai plus cherché à être publiée car j’avais compris, après l’échec des « Premiers Pas » que les ouvrages lesbiens, même si j’arrivais à les faire publier, ne me rapporteraient pas de quoi vivre. Et quand je jette un coup d’œil derrière moi, je suis persuadée que j’ai bien fait. Combien d’autrices d’œuvres mettant en scène des lesbiennes ont-elles eu suffisamment de lectrices et de lecteurs pour leur permettre de subsister ? Très peu. Jeanne Galzy n’a été claire sur le sujet de l'homosexualité qu’une fois retraitée. Et Hélène de Monferrand n’était pas enseignante. En outre, j’ignore si ces deux écrivaines auraient pu vivre uniquement de leurs droits d'autrices.

Pourquoi avoir attendu votre retraite pour publier des ouvrages sur le thème de l'homosexualité féminine ?

J’ai enseigné tout d’abord dans le Jura et ensuite à Montpellier. Or je n’avais nulle envie, au cas où l’un de mes livres serait publié, d’être mutée dans la banlieue de Lille ou à Roubaix ! Pendant mes quarante années d’enseignement, j’ai fait profil bas et j’ai bien fait. Après avoir pris ma retraite, j’ai dit à des collègues très ouvertes en matière de mœurs que je faisais partie du Collectif contre l’homophobie. Elles m’ont affirmé que j’avais eu raison de me taire.

Comment vos engagements au sein du Collectif contre l'homophobie (CCH) et l'association féministe Psyc et Genre ont-ils enrichi votre réflexion et votre écriture  ?

Je suis féministe et je milite pour l’égalité des droits des lesbiennes et des gays. C’est pourquoi, une fois retraitée, j’ai fait partie de deux associations montpelliéraines, Psyc et Genre et le Collectif contre l’homophobie. En ce qui concerne les femmes, qu’elles soient lesbiennes, bisexuelles ou hétérosexuelles, je suis persuadée que le premier pas vers l’autonomie, c’est d’avoir un gagne-pain. Or les métiers féminins sont mal rémunérés et c’est sur ce point qu’il nous faut faire porter nos revendications. Quant aux homosexuels des deux sexes, je ne vous apprendrai rien en vous disant que l’homophobie et la lesbophobie sont toujours aussi virulentes et qu’il nous faut lutter pour obtenir l’égalité des droits avec les hétérosexuels.

Parmi vos nombreux ouvrages, y a-t-il un livre qui vous tient particulièrement à cœur et pourquoi ?

J’hésite entre « Mauvais Genre » et « La Vie dure » qui sont complémentaires. Dans « La Vie dure », que j’ai rédigé quand j’avais quarante-cinq ans, je narre ce qui m’est arrivé l’année de mes 38 ans : une amie que j’avais rencontrée en terminale et qui m’avait abandonnée pour se marier, est revenue me dire, après vingt ans de silence et de servitude sexuelle, qu’elle était lesbienne à cent pour cent. C’est alors que je me suis rendu compte que toutes mes difficultés à vivre mon homosexualité au cours des vingt années précédentes étaient dues à cette rupture. A partir de là, j’ai pu progresser avec une meilleure image de moi et nouer avec une femme des liens satisfaisants. Quant à « Mauvais Genre », c’est un retour douloureux sur mes années d’enfance où je m’interroge sur ce qui est à l’origine de mon homosexualité et de mon genre androgyne. Je n’ai pu arriver à cette auto-analyse qu’à la soixantaine, auto-analyse qui, je tiens à le préciser, ne vaut que pour moi. En effet, il y a DES homosexualités et non une seule, de même qu’il y a DES hétérosexualités. Mais j’ai parfaitement conscience que les hétérosexuels n’éprouvent pas le besoin d’analyser les origines de leurs désirs parce qu’ils sont persuadés que leur orientation est naturelle.

Quels défis avez-vous rencontrés en écrivant sur des sujets aussi personnels et sensibles que l'homosexualité, le féminisme et l'autobiographie ?

Dans la mesure où j’ai compris à trente ans, avec le refus des maisons d’éditions concernant « Les Premiers Pas », que je ne serais pas éditée avant des lustres, je n’ai connu que des défis avec moi-même. J’écrivais pour moi, pour faire le point, réfléchir à mes échecs et trouver comment progresser. Si mes livres ont une valeur quelconque, c’est l’authenticité, celle d’une lesbienne née au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, qui a connu le silence total des années 1950 et 1960 et qui a survécu ensuite comme elle a pu. C’est sans aucun doute grâce à l’écriture que j’ai pris nettement conscience des liens étroits entre le sexisme, la lesbophobie  et l’homophobie

Comment percevez-vous l'évolution de la représentation des femmes et des personnes lesbiennes dans la littérature française depuis vos débuts en tant qu'écrivaine ?

Dans les 4 volumes d’« Entre Femmes », où je recense 1000 œuvres lesbiennes, je constate avec tristesse qu’entre les poèmes de Sappho (dont il ne nous reste que quelques vers) et le roman de Colette, « Claudine à l’école » publié en 1900 (sous le pseudonyme de son mari Willy !), il n’existe à ma connaissance aucun ouvrage lesbien rédigé par une femme. Vingt-sept siècles de silence pour les femmes qui se sont aimées au cours de tous ces siècles !!! A partir de 1900, on note quelques moments où les lesbiennes se saisissent de la plume et sont publiées : la Belle Epoque avec le salon et les œuvres de Natalie Barney et les poèmes de Renée Vivien, les Années folles avec Radcliffe Hall (« Le Puits de solitude »), Colette (« Le Pur et l’Impur » publié la première fois sous le titre « Ces Plaisirs »), Lucie Delarue (« L’Ange et les Pervers »), Djuna Barnes (« L’almanach des dames ») et Virginia Woolf (« Orlando »), effloraison interrompue durablement par la montée des fascismes et la guerre. En effet, le silence est presque total dans les deux premières décennies des années d’après guerre. Ce silence est rompu par certaines écrivaines au cours des années 1970, notamment par Marie-Jo Bonnet qui en 1979 est la première historienne à soutenir, sous la direction de Michelle Perrot, une thèse sur le lesbianisme. Cette thèse, publiée une première fois en 1981 sous le titre « Un choix sans équivoque », a été rééditée en 1995 sous le titre « Les Relations amoureuses entre les femmes du XVIe au XXe siècle ». Cet ouvrage en est à sa quatrième édition alors qu’en 1981, on ne donnait pas cher de la peau de Marie-Jo.

….En outre, au cours des années 1990, on assiste à la création de plusieurs maisons d’éditions lesbiennes. Enfin, ce que je trouve réconfortant, c’est qu’après notre pionnière, Marie-Jo Bonnet, de jeunes doctorantes font désormais porter leurs recherches sur les écrits lesbiens. J’en veux pour preuve les études réunies dans l’ouvrage « Ecrire à l’encre violette » publié en 2022 et dont les autrices sont Aurore Turbiau, Margot Lachkar Camille Islert, Manon Berthier, auxquelles il faut ajouter un auteur, Alexandre Antolin.

Pouvez-vous nous parler de votre processus d'écriture et comment vous choisissez les thèmes abordés dans vos ouvrages ?

Je vous avoue que je suis incapable de faire un plan. Je m’abrite derrière notre grande romancière, Colette (à qui j’ai consacré une étude, « Les Convictions de Colette ») qui ne faisait pas de plan avant de rédiger ses livres. J’écris donc tout ce qui me passe par la tête et ce n’est qu’ensuite que je sais de quel sujet je veux traiter. C’est ainsi que j’ai écrit ma « Lettre à une amie hétéro ». Une amie m’avait agacée en tenant devant moi quelques propos nettement homophobes. J’ai alors ébauché une lettre qui, petit à petit, s’est transformée en livre que devraient lire tous ceux qui croient tout savoir alors qu’ils ne savent rien sur l’homosexualité. Surtout, je tente dans cette lettre de faire le lien entre le sexisme, l’homophobie et la lesbophobie, lien qui ne crève pas les yeux de tout le monde et qui est pourtant à mon sens très important, voire vital.

Même quand j’ai écrit « Le Règne des femmes », qui est un conte, je ne savais pas ce qui allait arriver à mes personnages avant de les mettre en scène, ce qui m’amusait beaucoup. Il en va de même pour mes « Contes et nouvelles lesbiennes ».

Quels sont vos projets futurs en matière de littérature et d'engagement social ?

Après avoir recensé 1000 œuvres lesbiennes dans les quatre volumes d’« Entre Femmes », je souffle un peu, je lis beaucoup, je réfléchis, j’envisage d’écrire quelques nouvelles dont l’intrigue se déroulerait au cours de la préhistoire, nouvelles qui se transformeront peut-être en roman. Mais peut-être l’actualité me fournira-t-elle une source d’inspiration plus récente.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs et autrices qui souhaitent aborder des thèmes liés à l'identité, la sexualité et le militantisme dans leurs écrits ?

Le désir d’écrire est un phénomène tellement personnel que j’hésite à donner des conseils aux jeunes que vous mentionnez. J’hésite aussi pour un autre motif : je ne m’en sens guère capable. Je pense avant tout au bouleversement causé par les nouvelles technologies. Le livre en papier lui survivra-t-il ? Y aura-t-il encore des lectrices et des lecteurs pour des romans historiques comme ceux de Sarah Waters ou des sagas comme celles de Jeanne Galzy et d’Hélène de Monferrand ? Qui vivra verra !

 

Bibliographie :